Histoire de pouvoir

Je devais avoir 8 ans, c’était la rentrée des classes et comme à son habitude, ma mère me proposa de m’inscrire à une activité parascolaire. Par je ne sais quel hasard, elle me suggéra le Judo. J’ai immédiatement adoré. Je m’amusais comme un fou à culbuter, crier, me coltailler avec des amis une fois par semaine. Mon corps se souvient encore à quel point j’aimais ça : la joie, le jeu, le mouvement. Je me pratiquais régulièrement sur mon lit à faire des chutes – j’ai d’ailleurs fait un trou dans le mur de ma chambre avec mon talon, papa n’était pas content!


Rendu en octobre, le sensei nous annonce que c’est le moment de passer notre premier dan. Un peu nerveux, j’ai réussi l’épreuve. Il nous dit de demander à nos mères de coudre le petit bout de feutre noir sur nos ceintures pour le prochain cours. J’étais tout content et sur le chemin du retour, j’annonce la bonne nouvelle à ma mère. Elle, préoccupée par le trajet, les courses et autres trucs d’adulte, n’a pas compris qu’elle avait une tâche de plus à faire d’ici le prochain cours.


Les jours passent, et toujours pas de dan sur ma ceinture. Je me sens mal, je vais avoir l’air ridicule devant les autres si je retourne dans mon cours sans mon dan. Je suis gêné de redemander à ma mère de le coudre. Je suis pris tout seul avec cette anxiété, gelé par toutes ces pensées, incapable d’exprimer ce qui se passe pour moi. Triste et incompris, je ne suis jamais retourné au judo.


Juste de l’écrire, je sens mon petit cœur d’enfant se contracter. Ce cœur qui était plein de joie pour le judo a tiré ce jour-là quelques conclusions pour se protéger: « c’est dangereux d’aimer quelque chose, parce qu’à tout instant on peut le perdre »; « personne ne vient à notre secours lorsque l’on vit des difficultés » et « je suis incapable de faire des demandes, alors aussi bien ne rien vouloir. »


En vieillissant, je me suis concentré sur mon rôle du bon gars, j’ai donné un sens à ma vie en soutenant les autres, en étant généreux sans me soucier de ce que moi je voulais vraiment. Jusqu’à ce que ça n’ait plus de sens, jusqu’à ce que je me dise « j’en veux plus ». Plus de joie, de liberté, de jeu, de plaisir, de sens! Il m’a fallu plusieurs années avant de retrouver ma capacité à me connecter à ce que je voulais, à faire des choix qui vont dans le sens de mes élans, à faire des demandes concrètes à des personnes qui peuvent me soutenir et à dire non à toutes ces choses qui ne m’apportaient ni joie ni sens.


On a tous et toutes des histoires similaires, plus ou moins dramatiques, qui ont brimé notre confiance en nous, qui nous ont coupés de nos élans de vie, qui ont imprégné notre système nerveux et qui limitent notre expansion, notre puissance. C’est pour cela que j’ai tant aimé la Communication NonViolente (CNV), parce que c’est une invitation à être puissant ensemble, parce qu’on veut que tout le monde et tout le vivant aient accès à développer son plein potentiel et vive sa pleine expansion.

— Jean-Philippe

Spiralis.ca

Auteur: Équipe formateur.trice.s de l'entreprise Spiralis